Interview d’Anne-Thérèse Ismalun-Ricard, éducatrice Montessori pour les enfants de 6 à 12 ans à We Love Mômes Versailles afin de mieux identifier à quoi ressemble la pédagogie Montessori pour ce cycle-là. En effet, les enfants, en grandissant, abordent le monde d’une façon différente et la réponse à leurs besoins après 6 ans ne ressemblera pas à la réponse que l’on apportera aux enfants plus jeunes.
– Bonjour Anne-Thérèse. Vous m’accueillez ici dans l’ambiance 6-12 ans où vous exercez. Une toute jeune ambiance puisqu’elle a ouvert il y a quelques mois. Mais vous-même avez une longue expérience derrière vous. Comment présenteriez-vous la pédagogie Montessori pour les enfants de 6 à 12 ans ?
– J’aimerais commencer par évoquer trois notions. Tout d’abord, l’imagination. L’imagination est un outil pour se représenter ce qui n’est pas immédiatement accessible par les sens.
« Rien n’est dans l’intellect qui n’ait d’abord été éprouvé par les sens, si ce n’est l’intellect lui-même »,
Leibniz
L’être humain va vivre une suite d’expériences sensorielles. Il construit ses connaissances sur ces expériences. Son développement se construit sur l’observation et l’expérience.
La mémoire ensuite. Les enfants assemblent leurs souvenirs chacun à leur manière et reproduisent des expériences vécues pour retrouver le plaisir éprouvé la première fois.
Enfin, la raison. La force d’imagination se fait sous la direction de la volonté et de la raison, contrairement aux rêves. Elle est un support pour les apprentissages.
Dans une ambiance 6 -12 ans, on vit, on sent, on expérimente, … Nous sommes dans le “aide-moi à réfléchir par moi-même”.
– Vous nous faites faire un tour de votre ambiance ?
– Avec plaisir. On commence avec l’aire de géographie scientifique et sa table d’expériences fabriquée par un bénévole (comme toutes les étagères d’ailleurs). Il s’agit ici de comprendre tous les grands phénomènes scientifiques (Terre, soleil, eau, tectonique des plaques, …) en les expérimentant. L’expérience appelle l’imagination.
On poursuit ici (en faisant le tour de la pièce vers la gauche) avec la géographie politique.
Puis tout ce coin est consacré aux mathématiques : la géométrie, la banque, …
Ici, nous voyons comment les enfants expérimentent l’ordre (rires en me désignant une étagère de classeurs aux noms des enfants). En effet, si en 3 – 6 ans on parle de périodes sensibles, et notamment la période sensible de l’ordre, en 6 – 12, on va parler de caractéristiques psychologiques. C’est-à-dire que nous allons observer ces caractéristiques chez les enfants pour identifier des besoins auxquels il faut répondre. Et là, il s’agira d’aider les enfants à trouver comment y répondre. Je les aide à trouver une organisation. Je les accompagne afin qu’ils se rapprochent d’un équilibre entre l’ébullition dans laquelle ils se trouvent – et qui est tout à fait essentielle et bénéfique à leur développement – et l’ordre, indispensable pour créer de bonnes conditions d’apprentissage.
Voici l’aire du langage avec sa bibliothèque.
On enchaîne avec l’Histoire, son ruban noir et ses affiches.
L’art et la table d’art. On y trouve notamment le tricot. On réunit ici les conditions pour une créativité construite.
Et enfin, la biologie. (Nous sommes revenues en face de la géographie scientifique et de la table d’expériences.)
La vie pratique est incluse dans les autres activités. Voyez ici, un enfant a mal rincé les tubes à essai après son expérience. Nettoyer des tubes en verre de ce type n’est pas tâche aisée. Nous y reviendrons lundi.
La pièce est très agréable, elle permet l’ébullition, ça circule, ça vit. Et ce canapé confortable placé au centre de la pièce, ainsi que ce grand tapis, plaisent beaucoup aux enfants. Ils sont chez eux. Je m’assieds souvent sur ce canapé au centre de la pièce pour observer. Je regarde la petite ruche au travail.
– La pédagogie Montessori en 6 – 12 s’appuie sur ce que l’on nomme “les grands récits”.
De quoi s’agit-il ?
– Les grands récits sont proposés aux enfants par l’éducateur au début de chaque année du cycle. Ils sont chacun fondateur d’une matière. Ils ouvrent sur toutes les autres leçons. Les grands récits aident l’enfant à répondre aux questions existentielles qui surviennent à cet âge et à identifier le rôle interdépendant de chaque élément de l’univers, y compris le sien.
– En pratique, à quoi ressemblent les grands récits ?
Concrètement, je crée les conditions (mise en scène, ton, …) pour faire de ces moments des moments à caractère … spirituel, je dirais. L’idée est que ces contes marquent la mémoire des enfants durablement. Pour cela, les enfants doivent pouvoir avoir l’esprit disponible et se concentrer. Avec moi, un récit dure environ trente minutes. En formation, nous avons appris à être des conteurs, des passeurs d’histoires. Les grands récits sont des fêtes pour lesquelles on se prépare !
La pédagogie Montessori déploie pour les enfants de 6 à 12 ans six grands récits que l’on peut regrouper sous trois catégories :
- Le premier groupe comprend le “récit de Dieu qui n’a pas de mains”, le récit de
l’apparition de la vie et le récit de l’humanité (l’apparition des êtres humains avec
leurs capacités spécifiques).
- Le deuxième groupe traite des faits culturels des êtres humains : le récit de notre
alphabet et celui de nos nombres.
- Le troisième groupe est constitué du récit du grand fleuve.
Les grands récits sont des moments importants qui laissent une marque dans l’esprit des enfants. Ils se souviennent par exemple du jour où nous nous sommes rendus dehors pour dérouler le ruban noir de trente mètres qui retrace l’apparition de la vie. Tout au long de l’année, les enfants évoquent ce moment et s’en souviennent. Le ruban noir est là, sur l’étagère, mais il n’est là que comme un rappel, un repère. On ne le déplie qu’une seule fois par an. Le moment en est d’autant plus exceptionnel !
– Est-on plus dans l’abstrait en 6 – 12 ans qu’en 3 – 6 ans ?
– Oui, complètement. En effet, la pédagogie Montessori met en garde contre les contenus trop fantaisistes pour les enfants jusqu’à six ans. On ne leur “raconte pas d’histoires” ! Car au contraire, l’objectif de l’éducation Montessori à ces jeunes âges est d’ancrer l’intelligence des enfants dans le réel afin de leur donner des repères. Une fois ce socle construit, la pédagogie Montessori va pouvoir s’adresser à l’imagination des enfants pour aller vers des concepts plus abstraits.
Mais dans la pédagogie Montessori pour les enfants de 6 à 12 ans, comme on le voit avec tout le matériel qui reste concret, beaucoup d’enfants ont encore besoin de manipuler. Puis, une fois les images concrètes accumulées, le désir de l’abstraction se fait sentir. D’autres enfants en sont déjà là. Ceux-là auront peut-être besoin de plus de soutien dans leur développement social. Chaque cheminement dans les apprentissages, chaque façon d’apprendre est complémentaire. Je me désole que le système traditionnel coupe les enfants des images concrètes pour construire les concepts abstraits.
– Comment abordez-vous ces concepts abstraits ?
– Les apprentissages sont contextualisés. Prenons l’exemple des dictées que je propose. Elles s’inscrivent dans un contexte. Chaque semaine, je propose une image aux enfants. (Anne-Thérèse montre une photo d’un paysage de savane, des montagnes en arrière plan et quelques animaux autochtones.) Une photo d’un environnement qui va jouer le rôle de déclencheur d’imagination. Les enfants vont se questionner. Sur terre, où se trouve cet endroit ? En observant la végétation, on s’interroge sur le climat. Les enfants sont embarqués. Ils se rendent aux étagères pour faire des recherches. Je propose ensuite une dictée descriptive des caractéristiques de la Tanzanie où la photo a été prise. Les liens entre les aires se font naturellement.
– Concrètement, comment se font les présentations aux enfants de 6 à 12 ans ?
– Les présentations se font en groupe. On se trouve à l’âge social. Les enfants ont envie d’être en compagnie de leurs amis, de partager. La grande division avec les tubes est pour moi un matériel diagnostic, comme l’est le matériel sensoriel en 3 – 6 ans pour identifier un handicap sensoriel (vue, ouïe, …). Les enfants travaillent à plusieurs. Ils doivent communiquer et exprimer leurs émotions. On voit bien ici que c’est le processus qui importe et non le résultat. C’est ainsi que chacun trouve sa place. On doit faire attention à l’autre. Les compétences sociales sont tout aussi importantes que de savoir écrire !
L’idéal pour une ambiance 6 – 12 ans, c’est 25 enfants, cinq de chaque âge.
Lors de ce cycle, nous insistons sur deux valeurs : l’humilité et la gratitude. Pour l’humilité, le ruban noir est très puissant. En pédagogie Montessori, on nomme la présentation : “la leçon d’humilité”. La place de l’Homme est si petite ! Et cela mène naturellement vers la gratitude. Après les grands récits, on pense aux humains qui nous ont transmis toutes ces connaissances, nous avons de la gratitude pour les plantes, … Je veille à transmettre cette pratique. Nous avons de la gratitude pour la personne qui a construit les étagères de la classe. La concrétisation de cette ambiance est due au travail de chacun. Ce que nous faisons ici, si la période de travail se déroule au mieux, que telle ou telle activité se fait sans encombre, c’est grâce au rôle que chacun joue. Si untel ou unetelle a oublié de mettre le couvert, nous ne pouvons pas manger.
On se réjouit aussi beaucoup pour les autres. On fait des compliments après qu’un exposé nous ait été présenté par un enfant.
Entretien réalisé le 19 octobre 2022.