Gestion de classe, à quoi cela ressemble dans une ambiance Montessori 3-6 ans ? Prise en compte et respect de chacun, bienveillance et exigence, une matinée en immersion dans la Maison des Enfants de Montreuil.
Sourour Pivion, la directrice de l’école maternelle et élémentaire, également éducatrice dans l’ambiance 3-6 ans, m’accueille d’une poignée de main ferme et chaleureuse. Ce mardi matin d’octobre, je ne suis pas seule à venir observer son ambiance, une étudiante de l’Institut Supérieur Maria Montessori est là pour toute la semaine. Je passe mes chaussons et je fais un rapide tour d’ambiance. Il n’est pas encore 09h00. Les premiers enfants arrivent. Sourour m’indique une chaise dans le vestiaire afin que je puisse observer les enfants à leur arrivée.
L’accueil des enfants
Les salutations du matin
Postée à la porte, l’assistante accueille enfants et parents. Sourour prend le relais en accompagnant les enfants vers le vestiaire. Elle exigera de certains enfants un salut protocolaire, poignée de main et échange de regard. Pour d’autres, plus jeunes, moins réveillés, elle abandonne le protocole et a pour chacun une parole compréhensive et chaleureuse. Ses mots ont pour effet visible de dédramatiser, de créer une atmosphère détendue et accueillante.
Autonomie dans le vestiaire
Les enfants retirent leurs chaussures et enfilent leurs chaussons. Ils rangent leurs chaussures sur les rayons d’une étagère. Une table permet aux enfants de disposer leur manteau sur un cintre et d’en refermer la fermeture. Le reste des affaires sont placées dans un sac individualisé.
Responsabilités
Un enfant est mis à contribution pour transporter les aliments d’un grand sac apporté par un parent vers la cuisine pour le goûter. Il fera une multitude d’aller et retour en râlant un peu, encouragé et responsabilisé par les paroles de Sourour.
Un enfant de quatre ans prend en charge un enfant de deux ans. Il le guide à travers le processus : va chercher ses chaussons, l’assoit sur une chaise, lui retire ses chaussures, lui enfile ses chaussons, l’emmène ranger ses chaussures. Il fait de même pour le manteau. Puis lui offre sa main pour le mener dans l’ambiance. Le petit se laisse faire, tout à son aise.
Émotions, accompagnement, communication
La pédagogie Montessori comprend l’enseignement de compétences socio-émotionnelles.
Adam*, deux ans environ, est assis sur une chaise, deux grosses larmes sur les joues, manteau boutonné, bonnet sur la tête et bottes aux pieds. Sourour lui adressera une parole patiente et chaleureuse à chacun de ses passages dans le vestiaire. « Prends ton temps » ou « quand tu es prêt, tu viens, on t’attend. »
Deux enfants sont sollicités par Sourour pour revoir un plan de chambrée pour une prochaine classe verte. Elle explique et recueille leurs avis. Sourour s’adresse aux enfants en Français, en Arabe et en Anglais selon leur langue maternelle.
Sourour repère un plat à gâteau vide et propre. Elle s’adresse à Adam, toujours habillé : « C’est le plat de Charline, la maman d’Emmanuel. Viens, on va lui écrire un mot pour la remercier pour le bon gâteau. » L’enfant sourit et rejoint Sourour. Ils se tiennent côte à côte. Elle écrit sur un post-it et accompagne son geste de la parole afin qu’il comprenne ce qu’elle écrit. Ensemble, ils vont placer le moule à gâteau sur une étagère proche de l’entrée.
S’adapter à l’enfant
A son retour, Adam se décide à commencer à se dévêtir. Placer son manteau sur le cintre lui prendra environ dix minutes. A chaque passage, Sourour l’encourage d’un sourire sans répondre à sa sollicitation muette. Je le constaterai plus tard, elle exige des enfants qu’ils s’expriment verbalement pour demander de l’aide, et qu’ils le fassent correctement. Quand Adam formule faiblement sa demande, il est pourtant tout de suite entendu. L’enfant fait partie des plus jeunes, et son effort se doit d’être vu. D’un enfant plus âgé, Sourour exigera, comme pour les salutations du matin, qu’il s’exprime d’une manière précise et polie, dans un français soutenu, en regardant son interlocuteur. L’assistante démontre à Adam comment placer les deux extrémités de la fermeture Éclair de son manteau et l’invite à essayer lui-même. Adam continue ses essais.
Encore des émotions
Une petite fille en pleurs – elle vient de quitter son papa – s’approche et s’adresse à moi, des hoquets dans la voix, avec ces mots précisément : « Bonjour, comment t’appelles-tu ? » je la salue et je me présente. Elle s’exclame : « Moi aussi, je m’appelle … ! » Cela suffit à finir de tarir ses larmes matinales.
Une maman finit le tour de l’ambiance, guidée par son enfant. Sourour : « Mais oui, il était temps que tu montres l’ambiance à maman, elle n’avait pas encore vu où tu passais tes journées ! » La maman prend congé de son enfant et celui-ci se met soudain à pleurer. La maman le réprimande : « Regarde tes camarades, ils ne pleurent pas ! » Sourour recadre doucement : « Il a le droit de pleurer. » La maman qui s’éloigne : « Tu es un grand garçon. » Sourour : « Il est petit mais il a l’âge de vivre. » Elle pose sa main sur le torse de l’enfant. « Calme, tranquille. Tu as le cœur qui bat vite. Ça va ? … Tu as le droit de dire non. Va boire un verre d’eau, va. »
Un autre enfant pleure. Sourour : « Tu veux remettre ton manteau ? Ok, remets ton manteau si tu veux. » Et voyant que l’enfant refuse de bouger, « si tu as besoin, tu restes là. »
Modélisation sans jugement
Une enfant, en direction de Sourour, le regard malicieux : « Elle est vraiment pétée cette veste ! » Sourour, sans jugement : « Elle est cassée tu veux dire. » La petite fille répète : « pétée », Sourour reprend à nouveau, patiente : « cassée ».
Encouragement à l’autonomie
Un enfant : « Sourour, tu peux fermer la fermeture ? » Sourour : « Je veux bien t’aider mais demande à un autre enfant d’abord. » L’enfant fier : « Regarde, j’ai réussi à l’accrocher ! » Sourour regarde : « C’est pas mal ! », puis à Adam, toujours aux prises avec son manteau : « As-tu besoin de mon aide ? Je peux t’aider. » Le visage du jeune Adam s’éclaire d’un immense sourire lorsqu’il soulève le cintre par son crochet sur lequel son manteau est parfaitement disposé. Il entre dans l’ambiance d’un pas gai et se dirige vers un espace encadré d’étagères basses. Cet espace est particulièrement pensé pour les très jeunes enfants de l’ambiance. L’assistante est responsable de cet environnement.
La période de travail
Il est 09h40. Tous les enfants ont fini par rejoindre l’ambiance. Un seul enfant pleure encore. Il s’agit de l’enfant qui refusait de quitter son manteau. Il l’a toujours sur le dos. Tout en s’occupant du reste des enfants : présentation, gestion d’ambiance, etc., Sourour n’aura de cesse d’être présente pour cet enfant. Elle lui propose de s’asseoir sur un fauteuil central. Elle lui dira : « Courage, je sais que c’est difficile. » Lorsque ses pleurs deviendront soudain très bruyants, elle lui demandera : « Veux-tu te reposer ? » et elle lui installera un matelas, ira lui chercher un petit coussin et lui sortira une couverture. Les autres enfants vaquent à leurs occupations.
Travail individuel
Les enfants les plus jeunes choisissent leurs activités, plateau après plateau, et se plongent dans leur travail dans l’espace qui leur est dédié. A la fin de la matinée, Adam entreprendra un tour complet de l’ambiance, au milieu des « grands ».
Parmi les enfants d’environ trois ans, la majorité travaille en autonomie et individuellement. Les activités impliquant la manipulation de l’eau sont populaires. Une enfant, ravie, fait des bulles de savon dans une cuvette. Une autre râpe du savon.
Un jeune enfant observe un enfant plus âgé élever une construction qui fait déjà deux fois sa taille.
Leçons collectives
Comme il n’est pas fréquent de le voir dans la pédagogie Montessori pour les 3-6 ans, Sourour offre des temps de leçons collectives pour de petits groupes d’enfants. Ceux-ci se rassemblent autour d’une table pour une présentation incluant les cubes du binôme et du trinôme. Ce sont des enfants d’environ quatre ans, sans doute attirés par l’aspect social de l’affaire (ce qui n’intéresse pas vraiment les plus jeunes). Au bout d’un moment, Sourour passe le flambeau à une petite fille, qui reproduit la démonstration pour les enfants.
Plus tard, Sourour proposera une leçon collective de géographie, ponctuée de nombreux points de langage ainsi que d’évocations des pays d’origine de l’un ou l’autre ou des parents des uns et des autres. J’observe que Sourour prend soin de contextualiser toute chose.
Recadrage chez les plus âgés
La construction verticale de l’escalier marron attire des observateurs. Sourour indique à l’enfant qui y travaille de déplacer sa construction proche du mur afin de limiter les risques en cas de chute. Plus tard, elle sourit à l’enfant. « Ça donne envie de casser la construction verticale de l’escalier marron. Mais il ne faut pas le faire. »
Lorsque le livreur des repas se présentera, c’est à cet enfant que Sourour fera signe afin qu’il lui tienne la porte. Et elle expliquera à un autre enfant : « Hisham aime tenir la porte pour le monsieur qui livre les repas. »
Le groupe des enfants plus âgés chahute avec leurs chaussons et certains petits éléments des leçons de science. L’assistante les recadre en indiquant que tel objet n’a pas cette fonction. Peu après, Sourour leur propose de sortir dans le jardin attenant : « Hisham, tu as besoin de sortir ? » Il décline. Elle insiste : « Sûr ? » Trois enfants finiront par se décider à aller prendre l’air. Ils enfilent joyeusement leurs bottes.
Résolution de conflit
L’affaire du manteau
« C’est mon manteau ! » Une enfant contemple l’enfant qui a refusé de quitter son manteau et qui déambule en pleurant. Les enfants échangent un moment. Sourour qui passe par là leur propose d’aller vérifier dans le vestiaire car, en effet, ces deux enfants possèdent un manteau identique. Fin de l’incident. J’observe ici que Sourour a respecté la parole des deux enfants et proposé une solution pour les apaiser tous les deux.
L’affaire de la chaise
« Non, ça c’est ma place ! » s’exclame Inès en approchant très près son visage du visage d’un enfant assis sur une chaise qu’elle vient de quitter quelques secondes plus tôt. Face au sourire amusé de l’intrus qui affiche sa volonté de rester assis là où il est, Inès articule : « Comment je vais faire moi ? Comment la maîtresse va faire ? » L’enfant assis et un autre s’amuse à répéter ses mots. Elle tente de s’asseoir sur la chaise malgré tout en scandant : « Non, c’est ma place, non, c’est ma place, non, c’est ma place… » L’autre enfant invite Inès à « sortir » de la chaise. Elle s’exécute en protestant et s’assied sur une chaise non loin. Les deux autres enfants l’observent d’un air malicieux. Fin de l’incident.
Responsabiliser les enfants dans la résolution de leurs conflits
Plus tard, j’assiste de loin à un échange entre un des grands enfants venu de dehors et qui sollicite Sourour : « Théo fait n’importe quoi ! ». L’éducatrice, occupée avec un autre enfant, l’écoute une seconde puis annonce : « Je vous laisse gérer. » Elle se ravise un instant : « Ça veut dire quoi “n’importe quoi” pour toi ? » Elle l’écoute expliquer puis répète : « Je vous laisse gérer. »
Accident
Une cuvette est renversée au sol. Alors qu’un enfant s’exclame : « Regardez ce qu’elle a fait ! », Sourour calme le jeu : « Ça n’est pas grave, ça n’est pas grave. » Elle envoie celui qui s’est exclamé chercher une serpillière. Les enfants épongent et entament une conversation autour de la gravité de l’incident. Une petite fille : « J’ai renversé de la grenadine à la maison, c’était grave. A l’école, c’est pas grave, c’est pas du tout une bêtise. » Gênée dans sa tâche, une des enfants à l’œuvre indique à un enfant : « Il faut nous laisser tranquilles. »
Modéliser le bon comportement
« Pardon, je voudrais passer. » Alors qu’un jeune enfant cherche à forcer le passage entre Sourour et Raphaël, l’éducatrice bloque volontairement un peu plus le passage et prononce cette formule. En souriant, encourageante, elle répète la formule. L’enfant ne comprend pas. Sourour invite Raphaël à démontrer le bon comportement. Celui-ci prononce la formule. Sourour quitte les deux enfants en les encourageant à s’entraîner, ce qu’ils font avant de partir chacun de leur côté.
L’heure du repas
L’heure de la fin de la période de travail est annoncée. Les enfants s’activent à ranger leurs activités. Sourour propose un bref regroupement pendant lequel on entonne deux chansons accompagnées de gestes. Puis l’organisation de la mise en place pour le repas est au centre des échanges. On identifie les chefs de table qui revêtent une toque et s’en vont mettre le couvert.
A table, les enfants sont invités à se servir dans des plats en verre et en porcelaine que les chefs de table apportent. Les adultes partagent le repas avec les enfants et conversent avec eux.
A la fin du repas, les enfants débarrassent, nettoient les tables et ballaient le sol. Trois grands enfants joyeux sortent avec la vaisselle dans la petite cour pour l’apporter à l’agent technique chargée de faire la vaisselle.
Lorsque je prends congé, j’assiste en remettant mes chaussures à une dernière leçon en contexte : un enfant qui attend ses parents pour exceptionnellement quitter l’école plus tôt cherche à lire l’heure sur la pendule, ayant en tête l’heure à laquelle son papa doit arriver. Il hésite. Munie d’une pendule pédagogique, Sourour prend un moment avec lui afin qu’il retrouve ses repères.
* Tous les prénoms des enfants ont été modifiés.