Les livres jeunesse sont un puissant outil dans l’éducation des enfants. Maria Montessori, à travers ses ouvrages et lors de ses conférences, prend position pour une littérature jeunesse ancrée dans le réel.
La position de Maria Montessori sur le choix de la littérature jeunesse
La pédagogue recommande l’exposition des jeunes enfants à une littérature présentant des scènes de la vie réelle et mettant en scène des personnages ancrés dans le réel auxquels l’enfant peut s’identifier. Maria Montessori ne fait ainsi pas le choix des livres jeunesse usant du procédé d’anthropomorphisme (attribuer des caractéristiques humaines, telle la parole par exemple, à des animaux ou des objets) ou représentant les animaux, les humains, de façon fantaisiste (un éléphant multicolor, des visages non réalistes).
De même, et même si ce n’est que dans un second temps, Maria Montessori a écarté les contes de fée des activités proposées aux enfants fréquentant ses écoles. En effet, ses observations l’ont conduite à faire ce choix. Il en fut de même, d’ailleurs, des jouets traditionnels, qu’elle finit par supprimer de son matériel pédagogique. Elle dit ainsi que “mentir[aux enfants], ou leur dire des choses qui n’étaient pas la vérité, c’était comme abuser leurs esprits immatures et la confiance qu’ils plaçaient en[elle]”.
“Les éducateurs en général sont d’accord sur le fait que l’imagination est importante, mais ils voudraient la voir cultivée séparément de l’intelligence, exactement comme ils voudraient séparer cette dernière de l’activité de la main. Ils sont des vivisectionnistes de la personnalité humaine. A l’école, ils veulent que les enfants apprennent des faits ou des réalités dénués de fondement, alors que leur imagination serait cultivée par des contes de fée, plongés dans un monde qui est, certes, merveilleux, mais qui n’est pas le monde qui les entoure et dans lequel ils vivent. Ces contes contiennent assurément des éléments qui font impression et émeuvent l’esprit enfantin jusqu’à éprouver la pitié et l’horreur, car ils sont remplis de malheur et de tragédie, d’enfants affamés, maltraités, abandonnés, et trahis. Exactement comme les adultes trouvent du plaisir dans la littérature dramatique et les tragédies, ces contes de créatures et de monstres donnent du plaisir et éveillent l’imagination de l’enfant, mais ils n’ont aucun ancrage dans la réalité.”
Eduquer le potentiel humain, Maria Montessori, Editions Desclée de Brouwer.
La justification scientifique
Pour comprendre l’importance de choisir de la littérature jeunesse ancrée dans le réel pour ses jeunes enfants, il faut revenir à l’esprit absorbant tel que défini par Maria Montessori.
Un bébé, ou un jeune enfant, construit son cerveau, dont la plasticité extrême à cet âge est prouvée, en se basant sur son environnement direct : les personnes qui l’entourent, les lieux, le matériel pédagogique etc … L’enfant enregistre le monde tel qui lui est présenté et fait confiance aux adultes qui prennent soin de lui. L’on comprend donc comment la réalité est cruciale pour son développement harmonieux. L’exposition du jeune enfant à des choses réelles et précises lui permettra de percevoir le monde qui l’entoure de manière exacte.
Une fois l’éducation du jeune enfant faite sur la base de la réalité, il sera en mesure d’identifier le réel et ce qui ne l’est pas, et de discriminer l’un et l’autre pour des besoins intellectuels. Il pourra donc, à partir de 6 ans environ, être exposé à de la littérature jeunesse plus fantaisiste.
Bien comprendre les enjeux
Si à ce stade, votre réaction à cette recommandation émanant de Maria Montessori est mitigée, c’est sans doute parce que l’attachement que vous portez aux contes traditionnels est fort. En effet, ces contes qui ont, pour beaucoup d’entre nous, bercé notre enfance, font partie intégrante de notre culture, quelle qu’elle soit. Ils évoquent également des moments privilégiés au cours desquels un de nos parents nous faisait la lecture et partageait ces récits avec nous seul ou nous et notre fratrie. Il s’agit de souvenirs très puissants et fondateurs de notre identité et de notre bien-être.
Il est naturel d’être attaché à perpétuer cette tradition et retrouver cette connexion avec nos propres enfants. Pourtant, si nous y réfléchissons, ce qui est constitutif du moment privilégié qui a laissé une telle empreinte dans nos souvenirs d’enfant, c’est plus la lecture elle-même par un adulte qui nous est proche que le contenu de l’histoire lui-même. En perpétuant cette tradition de la lecture à voix haute à son enfant, en faisant le choix d’une littérature jeunesse ancrée dans le réel, vous retrouverez cette connexion si particulière parent-enfant que vous avez vous-même expérimenté enfant. Redisons ici l’important bénéfice de la lecture à haute voix pour l’apprentissage du langage des enfants.
Une fois le premier “plan de développement” (0-6 ans) terminé, le cerveau de votre enfant sera outillé pour être exposé à une littérature jeunesse plus fantaisiste. Et le propos ici n’est pas de dénigrer la créativité et la qualité de cette littérature. Simplement de bien comprendre les enjeux qu’elle représente pour le développement du cerveau des jeunes enfants.
Bibliographie :
REALITY: THE MOST POWERFUL AND INTEGRAL KEY TO THE WORLD, Silvia C. Dubovoy Ph.D.