Dans cette interview, Armelle, professeur des écoles à Paris, nous explique comment les enseignants de l’Éducation nationale s’organisent via l’association Public Montessori pour mettre en place la pédagogie Montessori dans leur classe.
– Armelle, vous êtes vous-même professeure des écoles. Qu’est-ce qui vous a poussée à vous tourner vers la pédagogie Montessori ?
– Le monde tel que nous l’avons connu n’a plus grand-chose à voir avec celui dont nos enfants feront l’expérience. Ce nouveau monde oblige individus et organisations à profondément repenser leur impact sur l’environnement et sur la société. Plusieurs questions se posent alors : comment préparer les générations futures à s’épanouir et à maîtriser ces nouvelles règles du jeu ? Comment s’assurer qu’elles auront la possibilité de développer les qualités qui leur permettront de transformer positivement la société, dans leur vie personnelle comme professionnelle ?
– Vous êtes présidente de l’association Public Montessori. Pouvez-vous nous en parler ?
– Le but de notre association est d’aider la mise en œuvre de la pédagogie Montessori dans le cadre de l’Éducation nationale. Au sein de l’association Public Montessori, nous sommes des professeurs des écoles publiques françaises, conscients des enjeux et des défis qui nous incombent. Depuis 2015, inspirés par les pédagogies alternatives et convaincus par la proposition pédagogique de Maria Montessori, nous unissons nos forces, sur tout le territoire français (DOM-TOM inclus), pour transformer nos méthodes pédagogiques et éducatives dans nos classes. Nous souhaitons ainsi offrir la chance à chacun de nos élèves de devenir un citoyen actif, capable de s’épanouir dans un monde où chacun est plus que jamais en mesure de jouer un rôle et où la collaboration est la clé d’une économie plus juste et durable.
– Concrètement, quelle forme prennent les activités de l’association Public Montessori ?
– Nous sommes organisés en groupes départementaux et régionaux. Ils réunissent des professeurs des écoles qui mettent en place la pédagogie Montessori dans leur classe. Au sein de ces groupes, ils échangent sur leurs pratiques afin de les améliorer.
Mettre en œuvre une pédagogie Montessori de qualité dans une classe, tel que nous pensons qu’il est nécessaire pour voir des résultats probants pour les élèves, exige, de la part des enseignants volontaires, une formation minimale à la philosophie de cette méthode ainsi qu’à l’utilisation du matériel dédié. Or, nombreux de nos adhérents n’ont pas encore ce bagage minimum lorsqu’ils participent aux réunions des groupes départementaux. Ils souhaitent se former pour accélérer la transformation pédagogique de leur classe.
Nous organisons régulièrement des conférences, tables rondes et webinaires. De cette façon, nous accompagnons les enseignants dans leur pratique pédagogique quotidienne de la pédagogie Montessori dans le cadre spécifique de l’Éducation nationale.
L’association propose également des bourses de formation auprès d’organismes pour aider les enseignants à compléter leur formation. Sont également offerts des financements ponctuels de matériel spécifique. Ces bourses sont attribuées lors de campagnes régulières régionales ou nationales.
Ces financements s’insèrent dans un parcours de certification dans lequel nous demandons à nos adhérents volontaires de s’inscrire. Ce dispositif permet de faire perdurer les bénéfices de la formation. Il inclut en effet un engagement fort de la part de ceux qui en bénéficient. Le parcours de certification permet aussi de pérenniser et d’élargir la transmission des compétences dans notre réseau d’enseignants. En effet, nous demandons aux bénéficiaires de ce dispositif, lorsqu’ils ont atteint un certain niveau de formation et d’expérience en classe, d’accompagner un nouveau participant.
Enfin, nous œuvrons pour la diffusion institutionnelle de la pédagogie Montessori en tentant d’influencer les politiques publiques de formation des enseignants de l’Éducation nationale.
– Quelles sont les réactions des familles quand elles découvrent que leurs enfants peuvent avoir accès à la pédagogie Montessori dans une école publique ?
– De façon générale, les familles sont assez enthousiastes. Cela nécessite cependant des temps d’explications un peu théoriques et pratiques pour les rassurer complètement. En effet, les parents ont souvent une vision très floue de la pédagogie elle-même. Nous prenons le temps d’informer les familles lors des réunions de rentrée et de rendez-vous individuels.
En revanche, si un enseignant rencontre des difficultés, c’est souvent la pédagogie Montessori qui est pointée du doigt. A tort … Il vaut donc mieux être prudent et sûr de soi avant de s’en revendiquer ouvertement.
– Quelle est votre expérience personnelle, et peut-être celles de vos collègues de l’association, quant à ce que vous observez en classe depuis que vous mettez en place la pédagogie Montessori ?
– Cela se traduit par des changements tant au niveau des enseignants qu’au niveau des enfants.
En tant qu’enseignante, je constate un mieux-être général qui va grandissant avec les années d’expérience Montessori. Cette pédagogie me donne un canevas de travail extrêmement précis et large en même temps. On peut y inclure toutes les activités complexes à mettre en place dans les classes au fonctionnement classique (sciences, géographie, arts, vivre ensemble et gestion des conflits…). Cela me donne un cheminement didactique logique, aisé à suivre. Enfin, la pédagogie Montessori permet une différenciation totale de l’enseignement. On s’adapte à chaque enfant tout en assurant une gestion de groupe. « Les apprentissages fondamentaux » (mathématiques, langage et lecture) se font de manière solide. Ainsi, nous enseignants, nous pouvons nous concentrer sur le guidage de l’enfant dans toute sa complexité. La pédagogie Montessori agit ici comme un guide très puissant pour moi-même, adulte et enseignante.
Les enfants ? J’ai l’impression qu’ils sont beaucoup plus joyeux dans les classes qui suivent ce fonctionnement Montessori ! Ils sont rarement contraints à une activité qui ne leur plaît pas. Il y a beaucoup plus d’interactions « affectives » entre eux : ils prennent beaucoup plus soin les uns des autres. Ils s’observent, se questionnent sur le comportement des autres, s’entraident. Ils cherchent beaucoup moins à » faire plaisir à la maîtresse » !
– Diriez-vous que vous vous sentez soutenue dans cette démarche par votre hiérarchie ?
– C’est une question délicate dont la réponse est très fluctuante selon les moments et selon les circonstances … Jusqu’à aujourd’hui, mon inspectrice m’a soutenue. Elle nous soutient dans notre projet d’école polyvalente (les trois classes de maternelle sont en fonctionnement Montessori). Mais parfois, certaines obligations administratives des inspecteurs viennent en conflit avec les principes Montessori (multi-âges, suivi des élèves, horaires de récréation aménagés, emploi du temps pédagogique …). Les inspecteurs sont aussi peu informés sur la pédagogie Montessori. Il leur arrive donc de remettre en question notre façon de travailler. Il faut rester vigilant et souvent négocier pour conserver certains acquis de ce côté-là.